mercredi 15 août 2012

Lola, de Jacques Demy, 1961


Lola, sous ses airs de ronde légère, me fait l'effet d'une danse de squelettes, dont les os s'entrechoquent et se brisent. Des squelettes qui découvrent, en dansant où on leur dit de danser, les sentiments, sans comprendre que les sentiments eux-mêmes ont été dictés. Que le premier amour soit le plus fort n'est qu'une affaire de tradition, presque un proverbe. La gamine, sous le charme du marin américain qui l'a invitée au manège, n'aurait peut-être pas fugué pour le rejoindre si lors de son dîner d'anniversaire elle n'avait entendu les propos les plus fatalistes à ce sujet. Lola est comme un conte : les paroles ont des allures de sortilèges, auxquels chacun succombe sans résister.

A vrai dire, les personnages de Jacques Demy sont tout sauf romantiques. Ils n'aiment pas aimer. On dirait que ça les dégoûte. Ca leur tombe dessus, et ça les broie. Ils en deviennent lâches, méchants ou niais, mais rarement héroïques. L'amour n'inspire ici que de très vagues et très petits élans. Il faut dire que le cadre est plutôt resserré : Nantes en quelques lieux, un café, un cabaret, un passage couvert, un appartement. Il y a dans cette façon de faire du cinéma (c'est-à-dire de concevoir le monde et les hommes) quelque chose qui ressemble à un étranglement. La ville, à la mesure humaine, rapetisse étrangement, se diffracte en décors. Nantes, au fond, n'est qu'un fantasme de ville : un port où l'on va-vient, et où les Américains portent des pompons et des costumes blancs. Il n'y a, entre les êtres, que de très brefs et violents échanges, comme si les relations elles-mêmes étaient étranglées par quelqu'un. Michel disparaît pendant sept ans, puis resurgit et demande Lola en mariage, et c'est la fin. Quant au gentil mais paresseux Roland, il dit à Lola qu'il l'aime, elle lui dit non, il l'insulte, lui demande pardon, et c'est la fin aussi. Pas de combat, tout est heurté, rien ne trouve de souffle ou d'envergure lyrique. Le petit monde de Jacques Demy est triste. Le spectateur suffoque. Le happy-end final est un mouchoir qu'on lui jette à la figure pour qu'il arrête de renifler.

Le lyrisme est ailleurs. Dans la morbidité des visages, dans les phrases courtes et sèches qui les traversent, et dans cette façon d'étrangler, qui donne à tout cela un mouvement, pas celui du manège, plutôt celui d'une fuite, vaine, impossible, avortée, toute une série de fuites vouées à l'échec. Les personnages se mettent à courir, quelque chose enfin les porte... et les lâche d'un coup, pas beaucoup plus loin qu'au départ. En vérité, c'est l'ironie qui est lyrique chez Jacques Demy. C'est cette façon de nous dire : les vies que vous vivez ne sont pas les vôtres, il y a quelque chose qui se joue de vous, qui vous malmène, qui vous entrave, et vous aurez beau rire et pleurer, espérer puis désespérer, ce sera toujours le même refrain, la même insupportable chanson qui vous contiendra jusqu'à la fin.

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