dimanche 24 juin 2012

White Heat - Raoul Walsh (L'enfer est à lui, 1949)




Le gangster, c'est celui qui s'empare de la technique pour y projeter ses rêves, ses désirs, sa démence archaïque. Le détective, c'est celui qui élabore de nouveaux objets techniques protégeant le monde contre les rêves des gangsters. Et plus le détective perfectionne sa technique, plus le gangster devient fou. Qu'est-ce qu'il reste de beau dans le monde ? Qu'y a-t-il de si précieux à protéger ? Raoul Walsh ne le dit pas. Il ne montre que la trahison, la violence, la destruction. Il n'y a ni famille ni amour. Le désir des gangsters et des détectives va bien au-delà. Les seconds s'occupent du pouvoir et de son maintien (rester du côté des détectives coûte que coûte ; pas l'ombre d'un doute pour Hank Fallon, celui qui se fait passer pour gangster : il ne sera jamais séduit, il ne fera que remplir sa mission et rentrera dans le rang). Les premiers ont la liberté pour devise - la liberté plus encore que le dollar. On ne voit jamais ce que l'argent leur apporte. On ne voit jamais les plages, les grands hôtels, ni les cigares. On voit des hommes qui se débattent et qui sont prêts à tout, faire dérailler des trains, s'entretuer, ou faire sauter l'usine à gaz, pour accéder au souffle de la liberté, qui ressemble à la mort et qui le sera sans doute. 


A l'espèce de désordre psychique des gangsters s'oppose la froide planification des détectives. Mais c'est toujours la machine qui gagne. Chacun l'investit à sa façon. Elle est de toute façon vouée à la destruction : la sienne propre ou celle des êtres humains. C'est un monde dévasté que dépeint Raoul Walsh, un monde foutu. On n'en aperçoit qu'une seule beauté : Hank Fallon, qui pensait prendre des vacances, montre à son ami détective un nouvel appareil sophistiqué lui permettant de pécher tout en faisant la sieste ; il n'aura pas le temps de l'utiliser, son ami le chargeant aussitôt d'une mission réduisant la perspective de son bonheur à néant.

Quand on voit L'enfer est à lui on se dit que les trains ne sont là que pour se faire braquer, que les femmes n'ont qu'un but : la trahison, et que les hommes ne sont capables que de tuer. Hors le crime, rien n'existe. Le territoire américain, dans les cadres presque carrés des films noirs de ces années-là, a tout d'une maquette où se surimpriment par moments des figures, gracieuses ou patibulaires, droites ou déviantes, qu'importe : chacune à un moment où à un autre révèlera sa vulgarité et finira par se fondre dans le paysage.

La vitesse extrême du film va de pair avec sa brutalité et son humour. White Heat est extrémiste et se contentera de tout faire sauter plutôt que de dessiner de nobles horizons et de révéler des idéaux blessés. Si le gangster en chef, Cody Jarrett, est amoureux de sa maman (une Calamity Jane certes en déclin mais toujours prête à échapper aux filatures de la police après avoir été chercher des fraises en ville pour son fiston), ce n'est pas par tendresse languissante, mais bien par goût de la démence. N'y voir nulle nostalgie, seulement du vice. Un gangster peut-il aimer ce qui ne le tue pas ? Il y a chez Cody Jarrett une irrésistible attraction vers la mort. Et ce sera sans doute le seul moment du film où sa liberté sera totale. Le seul moment où il rira. Sa mère ne cessait de lui répéter : "top of the world !" Il y est, et il rit avant l'explosion finale. Son existence a prouvé la seule chose qu'il y avait à prouver : la mort est inévitable.