samedi 16 juin 2012

The day he arrives - Hong Sang Soo - Matins calmes à Séoul

Ce sont quelques jours à Séoul dans la vie d'un ancien cinéaste devenu professeur en province. Il y a une femme abandonnée, un ami, l'amie de cet ami, et la patronne d'un bar nommé Roman qui arrive toujours en retard.
Les journées ressemblent plus aux rêves que les personnages en font qu'à des journées réelles. On ne sait pas comment le temps s'additionne chez Hong Sang Soo. Il n'est pas vécu comme une ligne droite mais plutôt comme un tout. C'est le temps du film qui compte, pas celui des vies humaines.
Et même si les journées semblent rêvées, il n'y a pas d'imagerie onirique. Tout est prosaïque et précis. Le rêve naît de la structure, à la fois répétitive et sans schématisme : certaines séquences se répètent à l'identique, d'autres varient, d'autres encore dévient complètement. C'est à la fois très complexe et limpide. Hong Sang Soo entend bien restituer la complexité de l'existence, mais simplement.
Son film s'ouvre à un sentimentalisme à la fois poignant et burlesque. Les personnages ne sont ni tout à fait ridicules ni tout à fait grandioses. Ils ont un scintillement qui leur est propre dans une mécanique plus grande qu'eux et dont les rouages sont si divers qu'on s'y perd. Le cinéaste pose sur eux un regard fait d'empathie et d'observation. Ils sont pris dans quelque chose d'immense dont le cinéaste non plus n'a pas la clef. Le cinéaste, à vrai dire, lutte avec eux, et, comme eux, essaie de s'affranchir de l'informe vers quoi tendent les trajectoires des personnages et le film lui-même. Il ne tombe jamais dans le piège de l'explication par la coïncidence. Les séquences s'emboîtent mais mal, toujours en grinçant. Tout le monde a de la peine à comprendre ce qui arrive, à savoir qu'en faire, à agir.
Et c'est ça qui est vraiment troublant chez Hong Sang Soo, cette façon qu'ont les personnages de toujours échapper à ce qu'ils sont, d'être le jouet d'un destin et de s'en défaire sans cesse, parfois par idiotie, parfois aussi parce que leur liberté est immense et transperce tout ce qui était étanche.
En fait, tout se passe comme si le film qui nous est donné à voir n'était pas tout à fait celui qu'on croit voir. Il y a une distance qui se fait, un décollement, entre la réalité de l'image et la perception qu'on en a. Cela se joue à cette capacité qu'on a de nous souvenir de choses dont les personnages ne se souviennent pas. Les journées semblent imperméables les unes aux autres pour les personnages, seul le spectateur les traverse, tandis qu'ils répètent, refont les mêmes essais, les mêmes erreurs.
Cela pose une question : pourquoi oublient-ils ? Pourquoi se souvient-on ? Qu'est-ce qu'on ignore de nos vies que les autres perçoivent ? N'y aurait-il pas un regard qui contiendrait tous les regards et ferait la somme de (le lien entre) tous les maillons, tous les segments qui composent nos existences ? Ce regard, c'est sans doute celui du cinéaste. Mais le personnage principal a arrêté de réaliser des films. Le film qu'on voit est donc fait malgré lui. A un moment, le réalisateur passe hors-champ pour jouer du piano. Trois personnages le regardent. Ils regardent le cinéma et ils le sont tout à la fois, composant le film comme les pièces innocentes d'un puzzle qui s'ignore. C'est ce qui donne à The day he arrives cette qualité discrète, grâcieuse, presque sournoise ou fantômatique : il n'y a plus film, et en même temps il y en a un. On a tout arrêté mais ça continue.

1 commentaire:

Guish a dit…

"cette capacité qu'on a de nous souvenir de choses dont les personnages ne se souviennent pas". Très intéressant point de vue sur le film.