dimanche 27 mai 2012

Une femme sous influence - John Cassavetes (1974)


Avant d’être un film sur la folie, Une femme sous influence est un film sur un amour fou. L’amour que les personnages de Peter Falk et Gena Rowlands éprouvent l’un pour l’autre les rend cinglés. Et leur folie fait de leur quotidien (organiser une fête pour des enfants, préparer à manger, coucher les gosses…) une épopée. La maison est un paysage de guerre, et le chantier où travaille le mari est presque plus intime.
Gena Rowlands utilise ses doigts comme levier pour les mots qui peinent à sortir de sa bouche. Je pense à sa main tenue dans son dos, avec son doigt pointé dans notre direction – image troublante d’une accusation informulée. Elle a un langage gestuel que les autres personnages reprennent à leur façon – tout le monde se met au diapason de sa folie, et tout le monde devient aussi fou qu’elle.
Cassavetes, au lieu de montrer la virtuosité d’une caméra passe-murailles, montre l’empiètement, le heurt – tout ce qui dans le plan génère du mouvement et de l’encombrement. La puissance de ce cinéma vient de sa façon de frôler les corps, de les laisser obstruer le plan ou ne pas apparaître tout de suite, de leur donner du temps. Parfois, filmer les murs, attendre que les corps passent et se retournent et nous donnent quelque chose à voir. Etre là en vigie, aux aguets dans la scène.
C’est bien cette question qui importe dans les films de Cassavetes : l’immersion. Etre dans la scène, parmi les mouvements des uns et des autres. Dans la mêlée. Il y a un combat, il y a une guerre, dans la maison il y a une guerre, sur le visage de Gena Rowlands il y a une guerre, et la caméra s’avance, frondeuse, parmi les coups et sous les balles.
Et le temps passe. Chaque scène s’étire sur une durée ahurissante. La caméra attend que le paysage qu’elle scrute s’écroule, que toutes les surfaces se fissurent. La caméra ne dit rien, elle enregistre. Il y a parfois des sauts dans le temps, des traversées brusques, des omissions, des ellipses – à chaque fois c’est comme se remettre d’un évanouissement par KO. Les personnages sont fous, ce qu’ils disent est fou, tout est fou, même le temps. Même la façon dont le temps passe, siphonné, aspiré par des gouffres.

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