mercredi 1 février 2012

Moon - Duncan Jones

C’est d’abord la dimension esthétique du film qui séduit : ce robot confident à tête de smiley, un peu sale comme un fétiche adolescent, ou ces moissonneuses sur la surface grise de la Lune et leur ballet lent produisant des flocons argentés, forment très vite un univers cohérent dans notre imaginaire de spectateur. Des codes très connus s’y trouvent décalés. Et la Lune apparaît moins comme un jouet kitsch pour un réalisateur sans idée que comme le point d’incarnation le plus simple d’un propos très ferme et très personnel. C’est souvent ça, la bonne science-fiction : non pas une banale histoire de mœurs se targuant d’étrangeté par l’étrangeté codée des signes qu’elle emprunte, mais des signes devenus banals (quoi de plus rebattu qu’un vaisseau spatial, finalement ?) créant une histoire singulière.
Le propos est lui-même sous-tendu par un art de la paranoïa largement digne de Polanski. Ce sont d’abord de très subtils décrochages et contretemps qui s’insinuent dans le récit, comme sur les vidéos que l’épouse envoie à son mari parti en mission pour trois ans sur la Lune, où l’image saute imperceptiblement, et où dans le coin de l’écran une forme s’agite sans qu’on puisse savoir exactement ce dont il s’agit. Le cinéaste, au contraire de Source Code, sans doute plus produit, ne souligne pas vraiment ses effets – ou, s’il les souligne, c’est pour mieux nous inviter au soupçon.
Et c’est bien de soupçon qu’il est question dans Moon. Soupçon quant à l’identité, à travers une histoire de clonage et d’exploitation salariale. Il n’y a pas d’original, il n’y a que des copies : des hommes dans la Lune, qui n’en sont qu’un, mais tenus séparés les uns des autres, tenus à l'écart du lieu commun qu'ils constituent. Le cinéaste avance par petits pas, comme le premier homme sur la Lune, lentement, flottant, ses armes sont minuscules mais elles sont là : on a l’impression d’une course au ralenti, de quelque chose de très tendu et prenant pourtant le risque de l’étirement. Il y n’y a pas de précipitation, seulement de l’enthousiasme.

Le film pourrait être vu comme le portrait psychologique d’un homme se multipliant à l’infini (c’est-à-dire sans progrès, figé dans une période de trois années de doute et d’interrogations inabouties) et retrouvant toujours ce même sentiment d’éloignement, cette impuissance à rejoindre la femme aimée, cette incapacité à épouser le réel - et même à éprouver la réalité du réel. L’homme devient peu à peu étranger à ses propres souvenirs, jusqu’au point où il comprend que ces souvenirs ne lui appartiennent pas. C’est une vraie rébellion qui s’effectue alors en lui (le scénario prend la pente d’une révolte des esclaves ultramoderne) : il se défait de souffrances qui ne sont pas les siennes, et dès lors se retrouve démuni. Une part de lui doit mourir (celle qui souffrait et vivait sur cette souffrance), une autre peut rejoindre le monde (celle qui s’est rebellée), et toutes les autres sont condamnées à l’inconscience qu’elles ont d’elles-mêmes, puisque c’est la seule chose qu’elles ont été capables de produire. Malgré tout, dans la chaîne, deux clones se seront entraidés, et c’est peut-être l’amitié qu’on a pour soi qui permet de nous affranchir de nous-mêmes. Peu importe à vrai dire : la vraie trouvaille du film, c’est ce robot-smiley, version potache de son aîné psychédélique de 2001, mais dont le ‘programme’ a été compris et retourné.

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