vendredi 11 mars 2011

Docteur Chance - FJ Ossang (1997)

Si Ossang filme cinq fois cette affiche de L'aurore sur la devanture d'un cinéma chilien, ce n'est pas pour rien. D'abord, il parle du cinéma comme possible décloisonnement, comme frontière abattue, comme internationalisme. Ensuite, il sous-entend quelque chose que nous comprenons au fur et à mesure du film : il fait du cinéma muet. Dans le bruit, dans la musique, il retrouve le silence, et dans la parole le carton. Les personnages parlent, mais pas comme dans les films parlants : ils parlent comme si un carton leur sortait de la bouche. On pense aussi à la bande dessinée : une bulle de mots apparaît dans l'image, mais sous forme de son.

Ce n'est pas tout. Le cinéma muet est très présent dans Docteur Chance. Ossang veut nous faire croire au cinéma des origines, et nous mettre dans la position du spectateur découvrant le cinéma. Avec ce film, le cinéaste s'invente une origine (ou plutôt, laisse au cinéma la chance de renaître). Il cherche aussi à nous laisser penser que chaque image est une pure invention, presque un tableau (alors qu'évidemment chaque image est saisie). Ainsi, il retrousse le problème du cinéma, comme les grands esthètes, mais sans donner à voir le contrôle nécessaire à cela (plutôt Kanevski que Kubrick). Ce qu'il y d'extraordinaire, c'est qu'il vole au monde des images que le monde ne donne pas. Il se refuse à la laideur, il inonde le spectateur de couleurs, nous sommes pris dans un spectre très large, éblouis comme dans un faisceau de lumière. Rien à voir avec Wong Kar Wai, car le ton n'est pas le même. Le ton n'est pas celui de l'homme satisfait de sa création, mais plutôt celui de l'homme perdu dans celle-ci, écrasé par elle, se maudissant d'en avoir déjà trop dit, trop fait.

On pourrait prendre Docteur Chance comme un film sur la puissance des machines. On ne compte pas les plans de voiture, les courses, les mouvements. C'est par la machine que le monde redevient beau, pur : par la vitesse que la machine génère. Et l'on quitte les nuits chiliennes pour rejoindre la lumière argentine / argentique. La pellicule est irradiée. Pas impossible que Francis Coppola ait vu ce film avant de faire Tetro.

Quitter, je crois, c'est ça le grand mouvement du film (son moteur). Ossang saisit la fragilité de l'inspiration, l'égarement lié aux fuites, et le miracle des échappées. Il décline les vitesses, entre chaos et poésie. Qu'est-ce que la poésie au cinéma ? Peut-être une question de magnétisme. Comme ce regard qui dit Dieu, et qui réapparaît avant que le roux ne crache rouge dans l'évier de sa chambre d'hôtel. Un lien se fait, là, dans ces images se succédant, qui n'appartient à rien, à aucune pensée, à aucun ordre. Qui crée son ordre - ou plutôt son règne.

Ossang ne peut se résoudre au rectangle du cadre du cinéma. Il arrondit ses plans, façon longue-vue. L'image est cerclée de noir. C'est un cinéma qui ne cesse de montrer au loin, de marquer la distance par le noir entourant l'action, de redéfinir ses contours. C'est aussi un cinéma mobile : tel geste entraîne la caméra vers le sol, tel autre vers le ciel, la caméra danse, traque, poursuit. Et dans la saisie de ces gestes, Ossang cherche les indices d'un possible soulèvement. Il cherche tout ce qui pourrait faire basculer le film. Ainsi le film est constamment en péril (d'autant qu'il ne cherche pas à être intelligible). Sa puissance naît de ce qu'on n'attend pas. Il n'y a pas de promesses, mais il y a des éclats.

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