dimanche 27 mars 2011

Cinéma du réel, jour 4 : Scuolamedia, Coming attractions, Slow action, Elégie de Port-au-Prince & Fragments d'une révolution, film anonyme

Coming attractions, de Peter Tscherkassky

Le film, superbe, entreprend de révéler la négativité d'images publicitaires en les détournant. L'objet vendu n'est jamais montré, le but jamais atteint, les sourires se répètent jusqu'à l'épuisement de leur signification, et le cinéaste décadre peu à peu les plans, jusqu'à ce qu'ils ne soient plus que des images. Les visages sont emportés par la pellicule, découpés, fondus. Le cinéma semble être, pour Tscherkassky, plutôt qu'un lieu d'apparition (ou de visitation), un lieu de disparition. Et il en va de même avec les films plus intimistes.
Tout est histoire de magnétisme. Le cinéaste ne cesse d'inverser les polarités, proposant le négatif des images plutôt que leur éclat positif, comme si nous regardions le film par derrière, comme si Tscherkassky cherchait à nous détourner de la puissance des visages et des corps. Une manière, donc, de désorienter l'image, de lui faire perdre le Nord. Des attractions, on passe aux distractions. Le regard oscille entre le désir et la répudiation. L'image n'est plus que la matière d'une pensée, qui joue avec elle en la distordant, la démultipliant, l'inversant, ou la surimprimant à une autre.
Il y a une orchestration à la fois musicale et rythmique dans cet essai sophistiqué, répondant à un mouvement très secret, fascinant (ce qui fait de Tscherkassky un esthète bien plus passionnant que Guy Maddin, au cinéma lourd et atone, malgré son désir d'éclat). Peu à peu, on perçoit, en plus du magnétisme des images, leur musique. Jusqu'à une scène intitulée 2 minutes de cinéma pur où tous les morceaux des scènes précédentes sont rejoués à toute allure, de façon hachée, explosive, cosmique. Il n'y a plus d'attraction, il y a une mise sur orbite. Tscherkassky procède à une sorte de désarmement, de neutralisation d'un pouvoir trop grand.

Slow action, de Ben Rivers

4 îles, 4 études d'un futur déjà passé. Des images en noir et blanc et des images en couleurs se côtoient sans raison théorique. Les narrateurs nous font entendre 4 utopies, 4 modèles de civilisations ayant décliné, qu'elles soient hologrammique, sociale, démente ou révolutionnaire. La voix-off ne rejoint jamais vraiment l'image. Ce principe de décalage est intéressant, mais peut-être trop systématique. Il y a néanmoins de belles idées, des solutions plastiques simples et convaincantes (les masques de la dernière île), et c'est aussi l'occasion de voir une île japonaise près de Nagasaki complètement abandonnée, où la vie a été laissée en plan, malgré d'immenses efforts architecturaux de digues et de barres d'immeubles en béton (où le cinéaste s'amuse à nous faire croire qu'un seul homme a vécu, un fou ayant réalisé de "vains rêves géométriques"). La voix de la narratrice, avec son accent allemand masqué mais pas anglais pour autant, donne l'idée d'une langue du futur.


Scuolamedia, de Marco Santarelli

Un collège dans les Pouilles. La caméra n'en sort pas. A la manière d'un carnet de croquis, d'observations très brèves, presque furtives, c'est moins à l'analyse des mécanismes d'une institution que nous assistons, qu'au violent conflit entre vie privée et vie scolaire. L'école est la première tentative d'extraction de l'être humain hors de son milieu, hors de son enfance. Et cette extraction se révèle délicate, problématique. Aussi l'intime surgit-il violemment dans les couloirs anonymes de l'établissement, foulés par des centaines de baskets blanches.
Il y a malgré tout une sortie, une seule : une classe rend visite à une Carmélite Déchaussée ayant passé 61 années dans son cloître. Cette dame, après 61 années de méditations, de prières, d'engagement fervent, trouve une seule chose à dire aux élèves : "débarrassez la table après dîner". Et c'est assez curieux de voir un établissement aux méthodes aussi progressistes, pratiquant l'accompagnement individuel, proposer une sortie de ce genre. C'est sans doute un paradoxe italien.


Elégie de Port-au-Prince, de Aida Maigre-Touchet

Après le tremblement de terre, la cinéaste suit, pendant quelques jours, le poète Dominique Batraville dans sa ville détruite, chantant dans les ruines, prenant un taxi et discourant sur Haïti, s'arrêtant pour manger une soupe qu'il dit délicieuse mais qu'il ne paie pas. On voit alors comment le chant du poète survit au désastre, s'en empare, et le transcende. Comment les mots sont les seules choses qu'il reste d'une nation.


Fragments d'une révolution, anonyme

Anonyme pour une seule et bonne raison, qui répond alors à l'opportuniste Me llamo Peng présenté hier : "par solidarité avec les Iraniens auteurs des nombreuses images qui constituent ce film, "anonyme" est aujourd'hui notre manière de ne pas dire "je", mais "nous" ".
On ne voit pas de visages au début de Fragments d'une révolution, mais des mains. Et pour reprendre l'assez célèbre association godardienne, on voit des mains parce qu'il s'agit d'un manifeste. "Même Facebook est devenu politique", dira la narratrice. Bien dit, car ces derniers temps, on voudrait nous faire croire que Facebook crée les révolutions, ce qui est une pensée on ne peut plus bourgeoise. Facebook est investi par les révolutionnaires, comme n'importe quelle arme à portée de main. Et le film entend bien nous faire comprendre ça.
Souvent, les textes marxistes ont une facture classique. Ce film-là, au contraire, s'empare de toutes les formes visuelles les plus bâtardes pour servir son propos, multipliant les sources d'images, les emails, les vidéos tournées avec un téléphone portable, etc.
On retiendra beaucoup de choses de ce film, la tristesse de sa fin (qu'on connaît mais à laquelle on ne peut croire, ou du moins pas en tant que fin), la violence qui s'est emparée du pays, et ces images d'une nuit sur Téhéran où d'immeubles en immeubles on crie "Allah O Akbar" pour célébrer la mort de ceux qui ont péri dans les affrontements, et où les réponses semblent se répéter à l'infini dans la nuit, donnant l'idée de la multitude des insurgés tapis chez eux, attendant le bon moment pour sortir et tout renverser.

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