jeudi 27 janvier 2011

Inland Empire - David Lynch

Au bout d’une heure, rien ne va plus. Laura Dern confond, ou plutôt croit confondre, une ligne du dialogue du film dans lequel elle joue et la réalité pas encore survenue d’une histoire trouble avec l’acteur de ce même film. Les temps sont mélangés, qu’ils soient passés, présents, futurs, hypothétiques ou fantasmés. Les temps sont craints et révolus, ils s’échappent des lignes auxquelles on les avait destinés. Un événement survenu plus tôt prend alors tout son sens (toute sa dimension de présage) : on avait eu tort de considérer comme une scène de comédie l’irruption de Grace Zabriskie en voisine encombrante dans la maison-palais de Laura Dern. Ses mots de femme sénile se mettent à enfler. Son accent ouvre un monde inconnu. Sa parole a été contagieuse : sa parole, qui n’était qu’un événement du film, est peut-être le moteur secret de ce film.

Grace Zabriskie est la voisine de Laura Dern. Elle vit à côté de chez elle. Elle est une frontière que Laura Dern finira par franchir. Inland Empire est un film sur la contiguïté. David Lynch a pris le temps de juxtaposer des images, des figures. Il y a la sitcom lente de la famille lapin, il y a le script du film que Laura Dern est en train de tourner, il y a la Pologne, la jalousie d’un mari, la fuite d’un autre avec un cirque, le gang des nanas, la femme au tournevis, une nonne implorant Dieu (« chasse ce rêve maléfique qui m’étreint le cœur), un confessionnal, et une fille qui regarde tout ça en pleurant devant l’écran de sa télévision. Les mondes sont les uns à côté des autres. Mais par ces jeux de contre-champs improbables dont Lynch est devenu le roi depuis Lost Highway, ils vont empiéter les uns sur les autres et se mélanger. Si bien qu’Inland Empire deviendra l’histoire d’une femme avec des lapins dans la tête.

La force du film est son absence fondamentale de sérieux. Rien n’y est grave, et tout est important. On regarde Laura Dern mourir sur le trottoir, éventrée par la fille au tournevis, puis on l’oublie, préférant écouter la Japonaise sous crack parlant de son amie qui a un singe, une perruque blonde, et un trou entre son vagin et ses intestins. Perforées, les cloisons sont franchies. Et si le film prend tour à tour des allures de drame sentimental, de thriller et de film d’horreur, sa vraie direction est la fête. Fête finale cachée sous un générique où toutes les figures brassées par le film se retrouvent pour danser. Les doigts claquent et le monde se renverse.

Il en va de la Pologne comme d’Hollywood : tout cela n’est qu’un décor, un lieu où la psyché vagabonde, paumée, effrayée par sa propre puissance. Découvrir qu’on a des lapins dans la tête n’est pas une mince affaire. Et on voudrait bien rencontrer cette fille qui nous regarde en pleurant sur l’écran de sa télévision. Laura Dern l’embrasse, et l’embrassant la libère de sa fonction de vidéo-surveillance. La fille rejoint les décors de l’esprit, rencontre les figures qui peuplaient son écran. Elle n’est plus l’enveloppe compassionnelle – ou plutôt, elle l’est peut-être encore, mais elle est à l’intérieur cette fois. Elle ne protège plus, elle s’insinue. David Lynch a construit, avec Inland Empire, une grande maison où les figures les plus disjointes pourraient cohabiter. Les scènes tournées à Lodz ont l’air de se passer dans le jardin d’une villa hollywoodienne. L’exotisme prévu (Lynch tourne à l’Est !) s’est changé en étrange familiarité.


Deux trucs dingues :
Laura Dern
et la dv.
Ce qui aurait pu tuer le film, David Lynch le métamorphose.
Preuve par l'image :



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