lundi 6 décembre 2010

Trois films de Jean Epstein : Coeur fidèle, La chute de la maison Usher, et Finnis Terrae

Si l’on persiste à penser les films muets comme l’expression d’une infirmité, on peut voir les films de Jean Epstein ainsi : ce sont des films où l’on refuse d’entendre un appel. Celui du cœur dans Cœur fidèle, celui de l’enterrée vivante dans La chute de la maison Usher, et celui du blessé sur l’île au large de Ouessant dans Finnis Terrae. Il y a un cri qu’on n’entend pas, et c’est le fait même qu’on ne l’entende pas qui est le moteur du récit. L’existence est en péril : le cinéma démarre. Un sens en moins (l’ouïe), et la vision s’aiguise, seul appui. Dans les flots du port de Marseille apparaît en surimpression le visage de l’absente, Marie (Cœur fidèle). Un air de guitare dans Usher fait naître toute une série de paysages dans un vieux manoir, mais pas une seule note. Les visions s’imposent, prouesses techniques, esthétiques, venant au renfort d’êtres maintenus dans l’impuissance d’une audition manquante.

Le cinéma de Jean Epstein est celui de l’intuition qu’on doit suivre malgré tout. C’est un cinéma libérateur, passant par l’ivresse et la transe, et la déformation. Le délire maladif de Finnis Terrae, la tempête de Usher, le mariage au carousel de Cœur Fidèle : autant d’entraves à la perception d’une vérité déroutée. Les corps sont lents, très empesés, ce qui est rare dans le cinéma muet. Tout semble se passer au ralenti.

A un moment, tout revient, comme un sursaut, tout s’affole tristement, les personnages se rendent compte qu’il est trop tard, car Dieu, le Destin, l’Univers (ce qu’on voudra) a gagné. L’être est pris dans le grand rouleau. Exister, nous dit Epstein, c’est s’arracher, c’est échapper à toute figure imposée, c’est suivre une intuition qui ne cesse d’être altérée par la littéralité d’images planes aux rapports de force joués d’avance. Il ne reste plus à l’infirme de Cœur fidèle qu’à tracer un cœur à la craie sur un petit cabanon, pour que Jean sache que la voie est libre, et qu’il peut rejoindre Marie. Car ça ne se dit pas.

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