samedi 25 décembre 2010

Faîtes le mur - Exit through the gift shop - Banksy

Malgré sa forme télévisuelle irritante, Faîtes le mur est un documentaire incroyablement complexe. Un métadocumentaire en fait, un peu à la manière du Grizzly Man de Werner Herzog, où Banksy documente la vie d'un homme qui a fait un documentaire sur lui (et quelques autres figures importantes du street art). Cet homme s'appelle Thierry, alias Brainwash, un Français portant des favoris, qui a passé une partie de sa vie à gagner de l'argent avec des vêtements Adidas revendus à prix d'or dans une boutique vintage de Los Angeles, puis qui un jour a eu dans la main une caméra et n'a jamais pu s'en séparer. Il s'est mis à tout filmer, compulsivement, jusqu'à ce qu'il rencontre un premier street artist, décidant alors que le street art serait le sujet de son documentaire. Il accompagnera tout le monde, portera les échelles, fera le guet pour prévenir d'une éventuelle surveillance policière, indiquera les meilleurs murs de Los Angeles, montera encore plus haut que ceux qu'il filme pour les filmer d'en haut, prenant encore plus de risque que tout le monde, infatigable. C'est la naissance d'une passion. Il ne pourra plus s'arrêter de filmer ce qui le jour d'après disparaîtrait peut-être. Il voudra rencontrer toujours d'autres street artists. Banksy fait le portrait d'un passionné.


Et de ses travers. Les cassettes s'accumulent. Thierry n'en revisionne aucune, prend à peine le temps de noter ce qu'elles contiennent, ou même la date du tournage. Il filme et il accumule. Jusqu'à ce que Banksy, devenu un ami, pose un ultimatum : "maintenant, on veut voir ton documentaire".


Face à la somme inhumaine de rushes, Thierry aura une méthode simple : prendre au hasard une cassette, et piocher dedans un passage qui l'intéresse. Le tout donne un film que Banksy considère comme mauvais, irregardable. On en voit un extrait : le montage est sanglant, aucun plan ne dure plus d'un dixième de seconde, les lieux et les personnes défilent sans continuité, et on sent pourtant que des liens, assez secrets, se font entre les images. Mais Banksy n'aime pas - il juge son ami 'mentalement détraqué'. La question est alors, pour le spectateur : who the fuck is Banksy pour juger de la qualité du film de son ami ? Au vu du sien, de la banalité confondante du sien, on peut douter de la pertinence de son appréciation. Il est regrettable que les deux films, celui de Thierry et celui de Banksy, ne soient pas projetés à la suite l'un de l'autre. L'extrait du film de Thierry est bien trop court pour que nous puissions en avoir une impression solide.


Mais le documentaire est plus retors encore que ce jugement, que ce remplacement d'un film par un autre au sujet de ce film. Car Banksy encourage alors Thierry à faire une exposition de street art à Los Angeles. Thierry hypothèque sa maison, engage des dizaines de personnes, ne fait rien lui-même, n'a que de vagues idées de ce qu'il aimerait faire, et monte un projet titanesque, ne pouvant que le rendre pauvre ou célèbre. Et il devient célèbre. Du jour au lendemain, grâce à une campagne publicitaire tonitruante, une prétention à toute épreuve (Thierry se prend pour Andy Warhol), et un panache quasi-gascon (le pied dans le plâtre, on le pousse sur sa chaise roulante tandis qu'il bombe quelques portraits tous identiques de manière à en faire des pièces uniques). La communauté des street-artists est jalouse, inquiète. Eux qui ont mis des années avant de trouver leur style et de s'imposer dans les musées, Thierry débarque sans avoir rien fait, ou presque, et déclenche l'hystérie générale. Accélérant, de surcroît, la commercialisation et la muséification d'oeuvres originellement vouées à l'éphémère et à la gratuité. Car la passion de Thierry, plus que le street art, est l'immortalité. Et de cette folie furieuse, Banksy a fait un film. Une manière de reprendre le pouvoir aussi. Et de s'emparer d'une forme qu'il avait laissé à un autre.

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