samedi 11 décembre 2010

De son appartement - Jean-Claude Rousseau

Il y a dans l’utilisation de textes littéraires au cinéma une dimension de valeur ajoutée qui peine à masquer la paresse et l’indigence du propos. Bérénice, pour ce film de Jean-Claude Rousseau, est à peu près aussi éloquente que Duras ou Malraux pour le dernier film de Jacques Perrin. En tout cas, c’est la même utilisation qui en est faite : preuve de bon goût (classique), et palliatif à l’absence d’implication et d’incarnation dans le film lui-même.

Ce goût pour les classiques est d’ailleurs systématique. On n’a encore jamais vu un cinéaste combler les manques de son récit ou les failles de sa mise en scène avec du Bret Easton Ellis, du Don Delillo, du David Foster Wallace ou du Pierre Guyotat. C’est dire l’ouverture d’esprit des gens du métier. On préfère toujours les valeurs sûres.

Le peu de résonance entre Bérénice et De son appartement (ou les résonances suggérées d’office, imposées sans se mouiller) ne serait pas important si le film lui-même avait une quelconque pertinence. Or, là, à part quelques portes qui claquent, quelques lumières dans un couloir, quelques coups de sonnettes et quelques sorties au bar, il n’y a rien. Rien que de l’infiniment petit. Humble, dira-t-on. Peut-être, oui, pour conter l’histoire d’une solitude affective difficile. Mais cette histoire n’est pas contée. A peine effleurée. Et l’infiniment petit apparaît plus comme de la prudence que comme un choix convaincant.

Autre chose : la scène du tango sur les bords de la Seine, épouvantable de laideur, à cause des lampadaires oranges de la capitale et de l’image vidéo. Cette scène fait preuve d’une volonté plus que d’une intuition. Il semble que le cinéaste voulait la placer coûte que coûte. Mais elle est objectivement repoussante. Alors pourquoi la laisser là ? Pourquoi ne pas proposer autre chose ? Il y a dans la pratique d’un tel cinéma une idéalité qui rend tout caduc et désuet. Cette scène était une idée. Dans les faits, on s’aperçoit que ça ne va pas. Mais on la laisse.

Sans doute y a-t-il chez Jean-Claude Rousseau une nostalgie bien trop grande des chefs d’œuvre du passé pour oser encore prétendre faire mieux. Mais la question n’est pas de faire mieux. C’est là un rapport stérile à l’art d’une manière générale. La question est de faire quelque chose qui nous ressemble, et dans lequel on s’implique absolument. Eric Pauwels, Jonas Mekas, ou encore Pierre Creton, dans le genre modeste du home-movie, l’ont bien compris, quand Jean-Claude Rousseau reste en retrait. A peine aperçoit-on un magazine homosexuel dans la pénombre d’une chambre. Des lettres arrivent qu’on ne lira jamais. Quelqu’un frappe à la porte qu’on ne verra pas. Car Rousseau veut faire Bérénice, pas moins.

3 commentaires:

Griffe a dit…

Ainsi, vous n'aimez pas la musique...

asketoner a dit…

C'est vrai qu'il y a une musicalité dans le montage. Je ne dis pas que c'est un mauvais film. C'est tout ce qu'il y a de plus honnête et je suis loin d'être découragé de voir d'autres oeuvres du cinéaste (La vallée close, notamment). Mais celui-ci, honnêtement, sans rien connaître de Jean-Claude Rousseau, ne m'a rien apporté de fulgurant. C'est joli. Mais ça ne prend jamais le risque d'être ridicule, en même temps. (Sauf peut-être les derniers petits pas de tango dans l'encoignure d'une porte.)

Anonyme a dit…

Juste un détail :
il ne lit pas les lettres parce que justement, comme tu l'as bien dit, il vit 'une solitude affective difficile'.

Quoi qu'il en soit, tu as dit le principale : 'C'est tout ce qu'il y a de plus honnête'. Mais que 'ça ne le fasse pas',... suis pas vraiment d'accord.
En ce qui me concerne, c'est un film que je reverrai volontiers

sokol