samedi 13 novembre 2010

Trois films inédits d'Alexandre Sokurov : Elégie de Russie / Elégie simple / Rêve d'un soldat


Elégie simple
(1990)

Au piano, un artiste, portant un veston austère, entouré de meubles soviétiques. La caméra recule peu à peu dans la pièce immense, et rejoint le bureau, les dix téléphones, quelques fleurs encadrées, les poignées rondes des placards. Et la musique est là comme une anomalie.
On voit l'immeuble de l'extérieur, puis des nuages, et les visages de femmes qui attendent quelque chose, écoutant sans écouter, méditantes.
On retourne au pianiste. Il a quitté le piano et rejoint son bureau. Il corrige une note administrative. On entend ce que les femmes attendaient : un office religieux. Et la caméra s'éloigne peu à peu de l'homme à son bureau tandis qu'enfle le son de l'office.
La nouvelle liturgie est administrative.
Un panneau nous l'annonce : nous sommes à Vilnius, en Lituanie, encore sous tutelle russe.

Elégie de Russie (1992)

On entend la respiration difficile d'un homme. Une femme lui demande s'il veut de l'eau. Il régurgite ce qu'on lui donne. L'allégorie est sarcastique. L'homme-Russie meurt.
Alors défile le film de sa vie. Les images du présent sont tordues, les couleurs changées, et les images du passé sont des cartes postales en noir et blanc, figées. Il y a une naïveté bouleversante dans ces photographies anciennes, portant l'idée d'une ruralité pionnière, d'un monde qui se bâtit. Sokourov isole quelques morceaux de ces cartes avant de nous présenter l'ensemble - et parfois c'est l'inverse : toute la carte, puis un détail.
Se succèdent alors des séquences qui pourraient faire histoire : images d'essais de tirs, poissons au fond de l'eau, flaques circulaires et reflets de grisaille, une oie dans les fougères, ou encore un enfant dormant à la lisière d'une forêt enneigée. On entend son souffle jeune. Est-ce ainsi qu'est née la Russie ? Du rêve d'un enfant sous les arbres ?

Rêve d'un soldat (1995)

Des nuages presque verts. Mais ce ne sont pas des nuages, c'est la tenue kaki d'un soldat, dormant dans un tank. Il dort sur le ventre. Une voix fredonne d'entre les rêves une comptine lointaine. Un insecte bourdonne. Il y a le bruit du vent dans l'herbe qu'on ne voit pas.
D'autres soldats, ailleurs, étendus. Pas morts, mais dormants. Profitant d'un cessez-le-feu imaginaire. Sokourov prend le contre-pied du Dormeur du Val. La mort est niée. Le soldat n'a pas deux trous rouges au côté droit, il dort. Et Rêve d'un soldat est comme un poème naïf et plein d'espoir. Construit sur cette inconnue : quel est le songe du soldat ?
L'un d'eux a une blessure à la main, qui cicatrise. Il se réveille un temps pour la toucher, puis se rendort, la tête sous ses bras, sur un lit de munitions qui ne sont pas comptées.
Des ombres, des nuages passent à travers les images terriennes, sans ciel. Le cinéaste montre une terre cosmique où la moindre parcelle reflète l'univers entier.
Un tableau apparaît, où un ange, les yeux bandés, est porté par deux créatures vêtues de noir. Ne pas voir. Ne pas renoncer à la pureté. Une valse. Les nuages semblent danser.

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