lundi 1 novembre 2010

The American - Anton Corbijn

Ca commence comme une publicité pour des vacances en Suède. Un feu de cheminée, deux amants, une maison en bois, une vaste étendue de neige - et très vite, tout s'effondre. Il y a des traces de pas, des coups de feu, des morts, du sang, une voiture : on entre dans l'action. Mais c'est l'action dans ce qu'elle a de plus ouvert, métaphorique, et hitchockien. On ne saura rien des raisons qui pousseront les uns et les autres à agir de telle ou telle manière, on ne verra que la surface d'un engrenage – on observera un être humain attendre que quelque chose se passe, se préparer à un affrontement qui semble fatal, traquer dans le paysage les signes d'une menace, assembler les morceaux d'une arme, dormir et se réveiller, et rencontrer d'autres êtres humains aux intentions indiscernables. Les films qui font ce pari sont rares (le Che de Soderbergh, le Traqué de Friedkin, voilà les films auxquels on pense quand on ne veut pas écraser The American sous l'ombre de Hitchcock), et il est ici très réussi, tenu, sans affèterie, à l'image de la scène de la partie de campagne entre Clooney et sa cliente. Un fusil, une rivière, un papillon, un homme et une femme. Que s'y passe-t-il ? Un simple échange professionnel ? Y a-t-il du désir ? Y a-t-il un meurtre en préparation ? Les trois hypothèses sous-tendent chaque plan de cette scène. Il y a du danger. Et où il y a du danger il y a de l'érotisme.

The American est un film tellement nu qu'on peut l'habiller avec toutes sortes d'interprétations. On le verra comme un film sur le caractère impérieux du sentiment amoureux (rompre avec toute attache, tout contrat, toute préexistence, pour vivre ce paradis promis). Comme un film sur l'idéal et sa représentation aveugle (toujours tout repousser hors-champ). Comme un film sur le fait d'être étranger (Clooney l'Américain ne sera jamais tout à fait chez lui dans ce petit village italien, toujours anomalie). Sur l'animalité habitant un corps civilisé (la question des traces, de l'attention aux signes du paysage, des compétences et de leur dissimulation). Ou encore sur l'impossible dissolution de l'être dans le monde. Quoiqu'il en soit, c'est un film fondé sur l'impossible, sur le hiatus qui nous sépare de (et nous lie à) nos espérances.

Et si la fin affiche quelques signes de consensus commercial (la musique, qui constituait jusqu'alors le second degré d'un récit s'en débarrassant, nous indique soudain quoi penser et ressentir), Corbijn ne lâche pas une seule seconde son propos, et parvient à dire, avec ses moyens à lui, sans extravagance, quelque chose d'assez profond sur les rapports troubles que l'être humain entretient avec le monde.

1 commentaire:

El Ultimo Bastardo a dit…

Merci ! J'ai vraiment apprécié aussi !