lundi 11 octobre 2010

Le songe de la lumière - El sol del membrillo - Victor Erice

Un peintre madrilène à la fin de l'été tente de représenter un cognassier, qui pousse dans la cour de son atelier. Mais bientôt c'est l'automne et avec l'automne vient la pluie, et les coings gonflent et se flétrissent.



Le songe de la lumière est un grand film sur l'automne, sur comment les choses de ce monde gardent en mémoire l'été, toute la lumière de l'été. Comment elles vont s'abîmer aussi, disparaître dans les nuits plus longues, et passer du lascif au banal, de l'individu à la lumière, de l'hypertrophie solitaire au multiple. A partir d'un seul arbre, Victor Erice embrassera toute une ville.

Entre l'arbre et le cinéaste, il y a un peintre. Un homme qui fait quelque chose de cet arbre et que le cinéaste accompagne quotidiennement, depuis la préparation minutieuse de son travail, jusqu'à son ultime réalisation, en passant par quelques renoncements. Le film se présente comme un journal - on pourrait dire aussi : comme un herbier. Il n'est pas anodin que Victor Erice ait choisi un vrai peintre voulant vraiment peindre ce cognassier, car ce qui est visé, dans Le songe de la lumière, plus que le réel (qu'on compose aisément à partir d'impressions et d'effets), c'est une vérité. On perçoit alors cette chose inouïe qui rend le cinéma si singulier, et qui en vient à préciser nos goûts : le cinéma est l'art de l'accompagnement. Filmer brutalement l'arbre, ç'aurait été montrer sa mort, et rien de plus. Filmer un homme qui veut le peindre et reste auprès de lui plusieurs jours durant, c'est dire le monde entier, c'est dire l'homme dans le monde, et ce qu'il fait, et comment il le fait. Un angle minuscule, à portée, à partir duquel on perçoit l'infini.

Il n'y a pas à ma connaissance de film plus précis et sincère sur ce que c'est que de créer (si ce n'est l'autoportrait de Eric Pauwels dans Les films rêvés). Erice montre les clous, les lignes, les méthodes, toute la préparation pratique à un travail fait autant d'intuitions que de discipline. Le peintre pose des croix blanches sur chaque feuille, chaque fruit : c'est qu'il a besoin de savoir ce qu'il a vu et depuis quelle hauteur, de mesurer l'espace entre toutes ces choses, d'en évaluer la verticalité. Peu à peu, l'arbre prend forme sur la toile, mais il semble soudain trop haut : le peintre reprend son travail à zéro. Il mélange quelques couleurs sur une palette, se tient chaque jour à la même distance de la toile et de l'arbre, et peint, lançant des regards vifs vers le cognassier comme un oiseau évaluant la possibilité de se poser sur une de ses branches. Il n'y a pas de mensonge, pas de pose romantique dans Le songe de la lumière. Toutes les 'affres' du créateur sont noyées dans un quotidien simple et laborieux, et non somatisées en insomnies ou fièvres terrassantes, oreille coupée ou tentative de suicide. Peindre est un travail. Filmer un peintre en est un autre.

Une radio allumée près du chevalet, on parle de la guerre du Golfe ; un ami passe, on entend la langue de deux amis entre eux, on leur imagine une jeunesse commune, on perçoit comment les mots les ont unis, et le terrain de jeu qu'ils se sont faits au sein du langage ; une femme vient voir l'avancée du tableau, et c'est une forme du sentiment amoureux qui se dessine, une idée du couple ; des ouvriers polonais exécutant quelques travaux dans l'atelier mangent un coing, et le film dit alors quelque chose du fruit, de ce qu'il représente pour chacun, des mille manières de l'envisager dans mille vies différentes. Les images du Songe de la lumière sont ouvertes. Aussi, lorsque Victor Erice sort de la cour de l'atelier du peintre et filme les trains, les immeubles, les ciels, les terrains vagues, les fenêtres où l'on aperçoit une télévision allumée, cela n'a rien d'un intermède poétique. C'est la suite évidente d'un travail amorcé dès la première image. C'est une des branches du cognassier qui se prolonge.

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