mardi 2 février 2010

Shirin - Abbas Kiarostami

Shirin, c’est l’assemblée des femmes. Elles sont là, dans la pénombre, assises, toutes tournées vers un film que nous ne voyons pas, mais dont nous entendons la musique, les bruitages et les dialogues. Kiarostami nous place à l’endroit où tout circule mais où rien ne peut être stabilisé (ou rationnalisé) : entre l’émotion de spectatrices que nous ne connaissons pas et un film dont nous ne percevons qu’une infime partie, pas suffisante pour que nous puissions être certains de ce qui est vu. Nous sommes entre le vu et le voir – nous sommes dans l’invisible – et c’est cette place qui fait le lien avec les films précédents de Kiarostami : voir à moitié (ou voir une partie sans pouvoir se représenter le tout avec certitude), c’est voir comme l’enfant. Le spectateur a l’impression de surprendre un moment, de n’être ni pris dans ce moment ni complètement coupé de lui. Quelque chose se passe, qu’il ne peut dire exactement, sur quoi il ne peut pas poser d’idée précise. Alors le fantasme s’active. Qui sont ces femmes, quel est ce film ? Ces larmes qu’elles versent, de quelle vie viennent-elles ? Cette voix qu’on entend, quel visage la porte ? Pourquoi cette voix sans visage produit-elle cette émotion sur ce visage sans voix ? Et pourquoi pris dans ce flux j’éprouve un sentiment pour cette voix, ou pour ce visage, ou pour le passage qui mystérieusement se crée de l’un à l’autre ? Je ne suis d’aucun côté, je suis des deux à la fois, je suis dans un torrent, qui serait l’être-même, dans ce qu’il y a en lui de mobile et de modal. J’assiste aux variations qui sont très exactement le contour de ce qui ne peut avoir de contour.

Shirin peut être perçu comme un prolongement des Histoire(s) du cinéma de Godard. Il s’agit là d’un art de la superposition : telle ligne de dialogue caressera tel visage hétéroclite, et de la rencontre des deux naîtra du sens, c’est-à-dire du possible.

Aucun commentaire: