samedi 11 juillet 2009

Collectif Medvedkine - Besançon, A bientôt j'espère, Classe de lutte, La charnière, Rhodia 4/8, Lettre à mon ami Pol Cèbe, Le traîneau échelle


Entre A bientôt j'espère (premier geste de Marker et Marret) et Classe de lutte (à la paternité dissoute dans l'utopie du collectif), il y a ce document sonore, La charnière, où l'on entend la réaction des ouvriers à la suite de la projection du premier des deux films. Réaction très violente, critique, où le romantisme de Marker est mis en cause : A bientôt j'espère aurait-il à sa façon exploité une certaine image du monde ouvrier pour l'inscrire dans des mythologies bourgeoises ? Le film, protestent les ouvriers, ne montre pas le temps, la préparation de la révolte, l'organisation et l'énergie que celle-ci nécessite. "On ne voit que le mécontentement." "Il y a des hommes qui militent et qui ne sont absolument pas des hommes révoltés."
A la suite de cette discussion naîtront d'autres films, tournés entre 1967 et 1971, par les ouvriers eux-mêmes.
Un problème, soulevé lors de La charnière, trouvera une heureuse résolution dès le film suivant : Marker n'a pas montré le travail des femmes, leur rôle dans la lutte. Elles sont filmées près de leur mari, plaintives, timides, cantonnées à la cuisine et au bon fonctionnement de la vie domestique. Parmi elles, Suzanne. Classe de lutte, c'est son portrait en militante révélée à elle-même, en femme émancipée, glorieuse, espérante. Les films Medvedkine ont su enregistrer cette métamorphose. Et la revoir en épouse muette dans A bientôt j'espère, la réentendre prendre la parole, une seule et unique fois, à côté de son mari, timide, enthousiaste mais craintive, est une chose bouleversante, quand on pense au chemin parcouru, à ses propos sur Picasso, à sa harangue face à la foule ouvrière découragée, dans Classe de lutte. Le collectif n'aura pas écrasé les individualités : chaque film qu'il nous livre s'empare d'un destin et le magnifie (romantique, peut-être...). "L'équivalence entre stalinisme et nazisme, écrit Marker, confortée au plan historique par mille traits irréfutables, achoppait au modeste niveau de l'individu, car là elle ne fonctionnait qu'à sens unique. Il n'était pas difficile de trouver un clone communiste à tel ou tel fasciste [...] mais la réciproque n'était pas vraie. Un Maiakovski nazi, un Medvedkine nazi, un Ivens nazi, un Mario nazi, ça n'existait tout simplement pas."
Rhodia 4/8 est un clip. Colette Magny interprète une chanson acide ("Merci Rhône Poulenc, trust de la chimie, c'est grâce à toi qu'on peut s'embourgeoiser"), tandis que se succèdent des images d'ouvriers arrivant à l'usine et pointant.
Nouvelle société 5, Kelton, est clairement parodique. Détournements de publicités SNCF et de discours politiques.
Nouvelle société 6, Biscuiterie Bühler, offre le point de vue d'une jeune fille sur ses parents travailleurs (sa mère à la biscuiterie, son père routier). On entend des chansons d'enfant, et leur manière de persister dans le monde ouvrier, les endroits où les paroles accrochent, trouvent un éclat nouveau, ou au contraire semblent très éloignées.
Nouvelle société 7, Augé découpage, est un document précis et essentiel. Il fait le récit d'une journée de travail pour un ouvrier de la société Augé, et s'attache à des détails (comment un feu rouge peut être fatal à une pause déjeuner, comment un torchon manquant dans les wc peut être à la naissance d'un conflit). Ce récit est mêlé à des discours de propagande gouvernementale ("que l'an nouveau soit celui de l'espérance"), et se conclut sur un accident du travail auprès d'une machine nécessitant le port de menottes pour que l'ouvrier ne se blesse pas.
Lettre à mon ami Pol Cèbe est un film en couleurs, une virée dans la nuit entre copains, qui partent à Lille en voiture pour présenter Classe de lutte. La question tourne autour du choix entre la guérilla et l'underground. Et l'on voit la route la nuit, la poésie, et l'amitié. C'est un film très émouvant.
Le traîneau-échelle, est, quant à lui, un poème composé de photographies fixes, prises par Thiébeaud ou volées à l'actualité.
Tout cela est né d'une occultation médiatique. En 1967, les ouvriers de Besançon occupent l'usine Rhodia. Cela ne s'était plus vu depuis 1936. Aucun journal n'en parle. Les syndicats convoquent Chris Marker, qui montait alors son film Loin du Vietnam, et qui découvre des ouvriers désireux de définir par eux-mêmes ce que sera la culture, et d'en finir avec "la société du bien-être dans une civilisation du loisir". Sur un carton on voit ces mots : "Seul tu ne peux rien ; Ensemble tout est possible." On sait ce qu'ils sont devenus. Ca fait froid dans le dos.

L’ensemble est passionnant. Réalisé presque sans moyen, avec des cinéastes et des techniciens au service des ouvriers, il témoigne d’un désir fort : celui d’être là, à Besançon, avec les ouvriers de Rhodia, et de s’emparer de formes qui généralement les excluent, pour les réinvestir autrement. Plus que d’une idéologie, il s’agit d’espoir. Toutes les personnes ayant participé au collectif ont senti que quelque chose pourrait changer, ont perçu dans le temps une brèche, et s’y sont infiltrés. Cela donne une idée de ce qui aujourd’hui pourrait se produire en Iran – mais pas seulement : l’espoir Medvedkine pourrait ouvrir bien d’autres pistes encore, et se répandre plus largement. Chris Marker, dans un texte écrit pour le livret accompagnant le dvd, parle du 'ki', "qui est quelque chose dans l'air, qui fait que quelque chose est possible, puis qui ne l'est plus".

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