mercredi 3 décembre 2008

le dernier geste (sur Hunger, de Steve Mac Queen, et Salo, de Pier Paolo Pasolini)


De Salo, une image (entre autres) reste, par sa force subversive, révolutionnaire. C’est dans « le cercle du sang ». Un esclave ayant fauté, pour échapper à la punition, en dénonce un autre, lequel dénonce à son tour, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le dernier dénoncé brandisse son poing face aux maîtres, et stoppe ainsi, par son sacrifice, la propagation de la parole meurtrière. Un homme a levé son poing et son corps sera abattu sur place, privé du cérémonial auquel les précédents seront livrés. Brisant l’harmonie présupposée sur laquelle se fonde la vie de la micro-République (harmonie du pouvoir et de la soumission), cet homme rappelle la possibilité d’une fin, dans l’infini totalitaire, politisé, organisé.


Ce poing et ce silence sont de même nature que le corps cadavérique de Bobby Sands dans Hunger. Privé d’hygiène, de vêtements, de statut, roué de coups, le leader de l’IRA choisit la mort, plutôt que la continuité d’une lutte politiquement récupérée, nettoyée, assourdie. Image après image, son corps deviendra plus faible, plus maigre. Sa présence oscillera entre inconscience et dévitalisation (opposée au vitalisme fasciste, à cet agencement des corps en posture glorieuse, sur lesquels se fonde le capitalisme). Le corps est l’ultime lieu de la révolte. Le sacrifice de celui-ci porte préjudice à la voix traînante, aristocratique, incroyable mais crue (dans les deux sens du terme) de Margaret Thatcher, que le film nous a invité à entendre. Thatcher à la radio, les récitantes de Salo, grands numéros spectaculaires, sur fond de jazz ou de Chopin, divertissements d’un peuple excité, galvanisé, se laissant dissoudre dans un nom, dans une idéologie. Mais quelques hommes continuent de manifester leur pensée. Créer des segments dans la spirale. Et si ce n'est un geste, c'est le corps tout entier qui devient ce segment d'arrêt, sec, dans un paysage d'obéissance pleurnicharde.

3 commentaires:

Joachim a dit…

Après ton passage sur mon blog, à mon tour de saluer la pertinence de tes textes et de ton blog, en particulier sur des films que tu défends avec conviction et qui ne m'ont pas du tout touché (les derniers Coppola ou Garrel, en l'occurrence). Toujours stimulant de trouver des avocats sincères. Aurais-je mal vu les films ? En tout cas, ça donne envie de les reconsidérer.

Pour en revenir à Hunger, j'ai aussi pensé à Salo, mais le souvenir du Pasolini n'est pas très net chez moi. Le plus étonnant dans tout cela reste tout de même l'aspect incroyablement ritualisé de cette oppression d'Etat.

asketoner a dit…

A vrai dire, c'est en voyant Hunger que je me suis demandé si je me souvenais de Salo. Je l'ai revu le lendemain. C'est tout juste incroyable, cette force que ce film a, de faire en sorte que le spectateur s'y trouve seul, nu, désemparé, sans masque, sans tricherie possible. C'est important, dans une vie, de voir Salo. C'est aussi très important de le revoir.
Hunger est plus 'choc', plus 'physique' aussi, moins théorique peut-être... Mais il a cette même puissance du dénuement.

Les Garrel et Coppola, je ne sais pas, à un moment quelque chose prend (il suffit de peu, d'ailleurs), et on plonge. C'est aussi ça la limite de dire ce film est bon / ce film est mauvais. Parler d'un film (ou parler avec le film), c'est peut-être dire pourquoi on plonge ou pas, et comment. Et c'est ce que tu fais. Ca reste (le cinéma), une expérience très personnelle.

asketoner a dit…

Je ne comprends pas trop pourquoi les commentaires ne s'affichent pas. Il faut vouloir y répondre pour les voir. M'enfin...