samedi 15 novembre 2008

sur Hellboy II et quelques autres spectacles - sur la mort du film d'action - sur la morale de l'émotion - sur le génie de Jason Bourne



On cherche un spectacle sec, on ne trouve pas.
Ces dernières semaines, j'ai écumé les salles, je cherchais un excitant, un film un peu froid et viril où des personnages courraient, tomberaient, mordraient la poussière. J'y ai eu droit parfois, mais ça ne tenait jamais longtemps - bien vite le spectacle nous resservait sa caution : l'émotion. Jacques Mesrine supporte mal son papa, James Bond a une blessure de coeur, Leonardo Di Caprio est amoureux d'une Iranienne, Hellboy va avoir un enfant, et la petite communauté de Blindness joue à touche-pipi sous la pluie. L'horreur. Le mont de piété hollywoodien : une larme pour une explosion. On veut que tout le monde s'y retrouve, les héros sont toujours là, mais maintenant ils ont des idées sur le couple, la paternité, le désespoir. Mémère rapplique, attirée par le tire-larmes en tube.
Oui, James Bond est malheureux, Hellboy se prend pour Elephant man, et Mesrine a un gros Oedipe qui passe mal. Faiblesses éloquentes, dialoguées, jamais mises en scène. Le spectacle s'arrête, le temps de quelques atermoiements. L'action s'effrite. La pellicule est trouée par la garantie du divertissement honnête et adulte. On injecte ici et là la morale de l'affect. Un sceau, une garantie. On ne peut plus faire courir un héros sans qu'il pense à sa femme.
On peut encore pourtant : Jason Bourne et Jack Bauer le font. Jason Bourne, sans mémoire, degré zéro du personnage, bloc de présent. Le héros le plus excitant de ces dix dernières années. Débarrassé de tout ce qui pourrait entraver sa logique folle, menacé de disparaître à chaque instant. Jason Bourne, c'est le possible oubli du film. S'il disparaît totalement, le film n'a plus de raison d'être. Le spectateur le cherche, le traque, le tient en vie. C'est Cary Grant dans La mort aux trousses. Pas moins.
Hellboy, lui, chante sur Burt Bacharach, et doit choisir entre l'amour de sa femme ou bien celui du monde. Il choisit le plus simple à conquérir : celui de sa femme, évidemment (il faut dire : elle l'aime). Et dans le déluge de couleurs primaires du film, des dialogues adultes (c'est-à-dire pornographiques) éclatent vulgairement. Guillermo Del Toro découvre le rouge et le vert, et jette tout ça sur l'écran. Ca fait parfois mal aux yeux, mais tant mieux. Il y a là une joie enfantine qui déborde : le dieu-forêt, la nuée de termites carnassiers, la vieille qui mange les chats mais craint les canaris. Des petites fêtes de cinéma. Des petits éclats bouleversants et muets. Mais trop vite les voix resurgissent, pour nous faire croire en une quelconque sagesse, en un tourment existentiel légitimant tous ces débordements esthétiques, toute cette fièvre de l'imaginaire. Le spectacle n'est plus gratuit. On vient de lui trouver des valeurs. On vient de l'achever. Il n'y aura plus de suspense. On saura que l'amour attend dans l'ombre des dialogues.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

"On ne peut plus faire courir un héros sans qu'il pense à sa femme."

C'est très juste, et c'est sans doute l'aphorisme le plus juste sur le cinéma d'action des années 80-90-00 que j'ai lu !

Et je crains que Jack Bauer ne soit lui aussi bourré d'affects...

asketoner a dit…

J'ai vu seulement les saisons 2 et 3 (ou 3 et 4) de 24, et j'ai eu l'impression que, si l'affect était enivsagé, il n'était jamais choisi. L'affect n'était là qu'en contrepoint dialectique.
Et la présence un peu JohnWaynesque de Kiefer Sutherland absorbait tout ce qui débordait (les scènes avec sa fille, notamment).
A revoir...

Anonyme a dit…

En repensant à tout cela, et aux séries, on pourrait concevoir que Lost est une sorte d'illustration exemplaire : chaque personnage, par ses réactions toujours subordonnées à son passé, n'est qu'une boule d'affects entraînée malgré elle, au pas de charge, dans chaque recoin de l'île.

asketoner a dit…

Oui, absolument.
J'ai pensé aussi aux Sopranos, où Tony Soprano ne cesse de répéter à sa psy qu'aujourd'hui il n'y a plus de types comme Cary Grant(revoilà La mort aux trousses).