jeudi 16 octobre 2008

Vicky Cristina Barcelona - Woody Allen



Imaginons que le monde soit une structure psychique (et que ce qu'on appelle monde soit réduit à l'Europe et aux Etats Unis); imaginons l'Europe comme l'inconscient des Etats-Unis; imaginons des Américains venus en vacances en Europe : ce qu'il se passe alors pendant ces vacances, c'est le retour du refoulé.
Woody Allen a choisi de tourner son film en Espagne. Les natifs (Bardem et Cruz) y sont présentés comme de ténébreux personnages, aux névroses épanouies, florissantes. L'un est un fils très attaché à son père, qui ne parvient pas à se défaire d'une relation périlleuse (le père avoue lui-même continuer d'avoir des rêves érotiques avec cette femme). L'autre est une hystérique, une pythie suicidaire, intrusive, manipulatrice, chaotique, désordonnée, bref : sauvage. L'Europe est un continent peuplé de femmes meurtrières et de fils oedipiens - un lieu mythique aux structures archaïques.
Les Américains, eux, s'ils sont tentés par quelque excès (la vie dissolue de Cristina), sont toujours soumis à un surmoi social - Cristina se met en danger, non pour assouvir une pulsion primaire, mais pour se démarquer. D'ailleurs, ce n'est jamais son acte - rien de tel ne lui appartient - les structures qui l'accueillent dans le délire d'un trio amoureux sont les moments d'une pièce déjà écrite, mille fois répétée, où elle ne fait que figurer sans rien pouvoir changer.
Les Américains en Espagne, tels que nous les présente Woody Allen, sont ces individus grégaires, apeurés, perdus dans une jungle aux symboles menaçants. Ils sont sans famille - rien ne nous est dit sur leur père et mère et frères et soeurs (ce qui chez Woody Allen est plutôt rare), seulement définis par le rôle qu'ils jouent dans la société, représentant cette société (l'artiste, la thésarde, la mère au foyer, l'expatrié) dont ils se sont un instant échappés. Qu'est-ce qui les anime ? La perspective d'un mariage, une maison à Bedford Hills, leur carrière. Quand Vicky reçoit un coup de téléphone de son fiancé, celui-ci semble toujours sortir du bureau, et avoir parlé à un autre couple (modèle ou témoin). Les Américains sont contenus. Cette structure est un sur-moi.
Un été en Espagne, pour Vicky et Cristina, qui se trouveront mêlées aux aventures mortifères de Cruz et de Bardem, suffira à percer ce sur-moi (ou du moins à l'ébrécher), à leur donner le sentiment de la délivrance, et donc l'angoisse qui en découle (angoisse du vide, de la perte de soi, de la mort). Retour des pulsions serviles pour Cristina, remise en cause de l'assurance de la normalité pour Vicky.
Traverser (se mêler à) cette civilisation vieille, quasiment originelle, sera l'occasion d'une épreuve (ceux qui faisaient défont), le moment de la résurgence d'un être antérieur à l'être social. Vicky, d'ailleurs, n'a jamais été aussi pleinement dans l'acte sexuel qu'à Barcelone, dixit son fiancé.

Si le film peine à démarrer (on a l'impression qu'une machine à raconter des histoires s'est enclenchée et que rien ne peut venir nous surprendre, que la voix-off empêche toutes les scènes, réduites à l'état de vignettes, de respirer, de vivre, de prendre, et les acteurs s'ennuient), il devient, après l'escapade en avion et la première apparition de Cruz (géniale), une comédie étrange : une comédie du dérèglement.

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