vendredi 10 octobre 2008

L'homme qui marche - Aurélia Georges



Le cinéma, au contraire du théâtre, préfère souvent les acteurs petits et larges. César Saracho, l'acteur principal de ce très bon film, en est l'exact opposé. Aurélia Georges le filme déambulant dans un Paris sans ciel. On pourrait croire que c'est pour la reconstitution, pour ne pas montrer les enseignes trop modernes - car l'action débute dans les années 70. Mais pas seulement. C'est aussi parce que la ville est sans hauteur, prosaïque, un lieu où l'on gagne et dépense de l'argent - un lieu de déambulation plutôt que d'ascension.
Un corps trop grand, donc - un corps pas fait pour ce monde - un homme qui se croit chien - et que les statues égyptiennes effilées du musée du Louvre dissimulent sans peine.
C'est un écrivain français, émigré russe, qui aura traversé la Sibérie à pied avant de rejoindre la capitale française. C'est son histoire - ou plutôt l'après de son histoire, que la réalisatrice a choisi de mettre en scène, tandis que les éditeurs s'acharnent à lui commander des livres autobiographiques. Un homme dont la disparition ne semble poser aucun problème. Retenu par rien, sans que quiconque daigne lui accorder un présent/une présence. Année après année, l'écrivain mourra de faim et d'oubli.
Aurélia Georges, pour son premier film, ne se contente pas de faire le portrait d'un homme. Elle dresse aussi la petite histoire de la cécité volontaire des milieux intellectuels germanopratins. L'air de rien, elle insère des images d'archive de la chute du mur de Berlin, une conversation anodine sur les vertus et les défaites du communisme stallinien : c'est l'histoire de notre culture et de ses institutions, qui ont dévoré les utopies, qui les ont tordues, pressées, piétinées, pour en extraire le jus infâme de la petite affaire privée. Voilà ce que devient un écrivain : moins qu'un homme, à peine un passé, une preuve du passé. Voilà ce que dit le premier film rageur d'Aurélia Georges.

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