mardi 7 octobre 2008

Le cauchemar de Darwin - Darwin's nightmare - Hubert Sauper



Il est frappant de voir comme une prise de conscience politique se transforme en geste poétique.

Hubert Sauper semble d'abord animé par le rêve d'une idéologie simple, d'une beauté unique. Mais il se heurte aux détails, aux vies, aux intrications complexes. Il se heurte au monde : l'enfant qui s'endort sur le trottoir après avoir sniffé de la colle; le peintre qui se dit, depuis qu'il ne dort plus dans la rue, qu'il est un citoyen du monde; le gardien au regard fixe, rougi, noctambule éclairé par les phares d'une voiture, qui explique comment et quand tuer l'intrus, qui disserte sur l'infime limite entre le dedans et le dehors, avec son arc et ses flèches; la belle prostituée des pilotes, qui mourra pendant le tournage, et le souvenir de son chant fabuleux; le policier qui dort à l'ombre de l'aile de l'avion et s'éveille en tournant et dansant les bras écartés, comme s'il était devenu l'avion. Des portraits émaillent ce documentaire. Et chaque individu présenté apporte une lumière nouvelle sur le problème dont il était a-priori question. Le regard de Sauper est ample et embrasse ces malheureux plutôt qu'il ne les plaint. Il les comprend - c'est-à-dire qu'il les prend, qu'il les inclue dans son film, lequel ne peut plus se résoudre par une simple révolte. Il y a dans la voix des gens, et dans celle du cinéaste aussi, une défaite. Les poissons immenses et carnassiers sortis de l'eau, poussés dans les filets par les plongeurs qui les traquent, jouent plus comme métaphore que comme problème. Présence partout de la mort, guerre, crocodiles, sida, violences, famines, et le règne de l'indifférence généralisée. Le voyage, c'est l'autre. Ses yeux rouges. Sa jambe manquante. Son corps qui porte les traces d'une histoire plus vaste que l'intime. Ce village, auquel Sauper s'est intéressé, dit quelque chose de l'Afrique - et, par contamination, de l'Occident. Toujours à l'écart s'illustrent les mécanismes du centre - c'est la logique du coup porté. Les politiques ne disent rien, au mieux dénoncent, au pire cachent. Le cinéaste, lui, navigue parmi les crocodiles, veille avec le gardien, s'assied dans la rue avec l'enfant, montre aux prostituées l'image de leur amie défunte. Il fait le lien. Il traduit.

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