dimanche 5 octobre 2008

La nuit nous appartient - We own the night - James Gray



La nuit nous appartient est un film d'emprisonnement. Il marque avec acuité l'échec des pensées libérales, qui opposent au lieu de vraiment désunir. Car l'opposition reste une forme de l'addiction.
Le personnage de Joaquin Phoenix a passé sa jeunesse à fuir la vie que lui offrait son père (Robert Duvall), et que son frère (Mark Wahlberg) suivait, obéissant. La nuit nous appartient commence au moment où le fils va rejoindre malgré lui la trajectoire tracée par le père.
Le film est implacable, dans sa logique étouffante, tragique. Il s'ouvre sur une scène d'une grande beauté. Eva Mendes et Joaquin Phoenix commencent à faire l'amour dans une pièce fermée à clef, coupée du reste du monde (en l'occurence, une boîte de nuit à Brighton Beach), et sont interrompus par le rappel à l'ordre d'un collègue. Le paradis aura été de courte durée. la vulgarité du monde, le poids insoutenable de la famille, la façon dont le mal est inextricablement lié au bien - tout cela participera à récupérer Phoenix, à le faire revenir au destin qui lui est promis. Violemment, froidement.
Ce que le film évoque, c'est la glaciation. Un homme va, peu à peu, se retirer de la vie qu'il a choisie, pour adopter une vie subie. Et ce, filmé comme un cérémonial. Comme si la perte de la liberté, le retour aux mythes oedipiens fondateurs, la disparition de toute notion existentialiste, étaient devenus des rituels, des logiques admises et répétées. Comme si tout ce qui avait jusqu'à présent voulu nous délivrer des schémas archaïques s'étaient changésen contrepoint nécessaire pour que la machine à broyer continue de fonctionner.
Gray constate avec lucidité l'échec des sociétés humaines, leur pouvoir d'aliénation, et l'impossibilité pour l'homme de se constituer en tant qu'individu dans un engrenage trop bien huilé. L'amour est le seul "autre" véritable. Eva Mendes l'incarne à la perfection, surnaturelle en toute occasion, marchant au ralenti dans un couloir sombre avec un corset rigide à la surface duquel flottent ses seins mouvants. Vision de la grâce, d'un autre rythme, d'une autre vie possible, d'autres origines, et d'un autre soi-même. A la famille de Phoenix manque une mère. On ne sait d'elle qu'une seule chose : elle s'appelle Green. Vert, tout l'inverse de Brighton Beach. Une prairie, un lointain. La femme est un voyage.
Ce cinéma américain questionnant la filiation semble trouver sa pierre angulaire dans Celui par qui le scandale arrive, de Minnelli. Gray enchaîne les scènes avec amplitude - fêtes, banquets, célébrations, meurtres, traques, course-poursuites : rien n'est à jeter. Tout, dans La nuit nous appartient, est au niveau des plus grands.
Ce que Gray apporte de nouveau, par rapport à Scorsese notamment, dont les films ont beaucoup à voir avec une pulsion auto-destructrice, avec le sentiment mystérieux et mythifiant de la perte de soi, ce n'est évidemment pas une vision critique du milieu gangster, mais une équivalence entre la perte de soi et le retour à soi (le retour à une sorte de moi 'oedipien' jusqu'à l'os - mais pas jusqu'à la moelle, car le syndrôme amoureux est déjà venu altérer l'organisme, et a infiltré sa dose de tristesse et de nostalgie, qui rend le présent à la fois inconnaissable et inadmissible, c'est-à-dire admis et joué d'avance). Joaquin Phoenix ne se perd pas : il retrouve le droit chemin. Et Gray questionne la valeur de ce droit chemin. Phoenix aurait pu faire un boulot propre dans un milieu sale, il finit par faire salement son boulot dans un milieu blanchi par la religion et l'argent. Et c'est toute la force du film de Gray, que d'établir une équivalence entre les deux milieux, que de montrer comme religion, police, et gangsters, sont dans le même mouvement, un mouvement qui va de soi à soi, stérile, n'ayant pour certitude que l'égalité du lendemain.

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