dimanche 5 octobre 2008

La forêt de Mogari - Mogari no mori - Naomi Kawase




Ce qu'il y a de passionnant, dans La forêt de Mogari, c'est la place qu'occupe Naomi Kawase au sein de son film, place matérialisée par une caméra que l'on sent toujours présente, qui n'essaie pas de nous faire croire en une quelconque transparence, qui ne cesse de marquer une distance entre la salle et l'écran. Elle est un personnage en soi. On la voit, on devine son passage, lorsqu'elle déplace des branches dans la forêt, lorsqu'elle court pour suivre les comédiens, lorsqu'elle traverse un cours d'eau et que le courant la fait trembler.

Ce personnage tient plusieurs rôles.
D'abord, celui de l'accompagnateur. Si la jeune femme accompagne très loin le vieux monsieur dans son chagrin, la caméra est là pour la réconforter. Présence douce, allégeant la tâche. La jeune femme en a besoin - la forêt où le vieux monsieur l'entraîne est à la fois très réelle et très intérieure. Il y fait froid la nuit, et les vêtements mouillés peinent à sécher. Mais c'est aussi un lieu de deuil, où des sons, des arbres, un cours d'eau, prendront un sens nouveau, résonneront profondément. La jeune femme reconnaîtra ces signes, et l'homme les partagera avec elle, comme s'il avait voulu lui montrer comment on apprend à vivre parmi les morts.
Les personnages ne cessent de traquer des fantômes, de regarder au ciel, ailleurs que dans le champ. Aussi nous arrive-t-il de penser que cette caméra qui les suit est un fantôme parmi d'autres. Invisible pour les personnages, dénoncée pour les spectateurs, Naomi Kawase pose ainsi cette règle : vous, spectateurs, vous croirez aux fantômes et saurez les reconnaître ; vous, personnages, vous douterez de leur existence. Et nous voyons à travers les yeux d'un fantôme se débattre deux humains qui doutent de sa présence. Cette façon de se mettre à la place des morts pour filmer une histoire de vivants est bouleversante.
Il faudrait parler de la musique aussi, du son. On a le sentiment d'entendre exactement ce que les personnages entendent, de la manière dont ils l'entendent. Ca part du silence pour atteindre le bruit, en passant par des stades de perception très progressifs, focalisant sur un seul son, le vent, l'oiseau, la petite musique que les deux protagonistes apprennent à jouer au piano, rejoint peu à peu par les autres sons, ceux du réel dans sa totalité. C'est comme l'éclosion d'une vision. Une série d'épiphanies qui traduit bien la façon dont on vient au monde : d'abord un signe, un seul, qui permet d'appréhender un ensemble plus large.

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