vendredi 10 octobre 2008

De la guerre - Bertrand Bonello



Film imparfait, mais terriblement touchant, De la guerre traite d'une quête, de la difficulté d'être, et d'un retour à la paix par le combat.

On ne peut plus sincère, le film a la forme fragile d'un journal, alternant scènes, moments notés à vif, et aphorismes lumineux de fin de journée. D'autant plus fragile qu'il mêle sans vergogne deux tons habituellement écartés : le comique et le poétique. Ce comique menace en permanence le poétique, si bien qu'on entend dire ici et là que le film de Bonello est ridicule.
Deux tons, donc, qui s'affrontent, qui se livrent une bataille injuste et déséquilibrée. Le poétique, c'est l'être. Ses aspirations, ses forces. Le comique, c'est le monde : une mère qui passe l'aspirateur, deux touristes japonais entrant dans un magasin de disques au moment d'une déclaration d'amour fiévreuse... Bonello pose alors cette question : qu'en est-il du sublime quand le monde tourne au grotesque ? qu'en est-il de l'absolu quand la société ne cesse de nous faire entrer en relativité ?
Bertrand est réalisateur. Il travaille à un film sur un homme obsédé par la mort. Lors d'un repérage, il est amené à passer une nuit dans un cercueil. Il tirera de cette expérience une obsession nouvelle : revivre en plein air ce qu'il a vécu enfermé ; jouer avec la mort. Trop grande porosité de l'être aux circonstances, aux bassesses de la réalité - il y aura beaucoup à faire.
Je ne crois pas qu'on puisse livrer film plus intime, plus autobiographique - une autobiographie métaphorique, donc vraie, car elle témoigne d'un cheminement intérieur plus que d'une chronologie exacte de comptable. Film de survie aussi - Bonello, depuis huit ans, hormis deux courts-métrages, n'a rien pu tourner. Pas pour autant essentiel : brisé, le cinéaste n'a plus rien à perdre, et joue avec le feu.
Si le film s'enlise par moments dans des abîmes de naïveté, il atteint grâce à quelques scènes un point magique, une vibration unique, d'une extrême générosité. Ce que Bonello nous donne là, avec la danse, les retrouvailles avec l'aimée, la jouissance de l'horreur face aux écorchés, le chant tardif façon Last Days, ou encore les trois jours sans dormir, c'est un manuel de survie, c'est un signe de l'absolu dans un espace moribond... Autant d'instants superbes qui font passer outre les défauts du film.
De la guerre, c'est un grand film impossible. C'est aussi un moment nécessaire dans une vie d'homme. Et Bonello dit très bien ça, le retour au réel après l'extase, le retour à Paris après avoir touché l'infini : qu'est-ce qu'il se passe alors ? qu'est-ce qu'il advient de nous, divins l'instant d'avant, redevenus citoyens ? Cette vigueur donne à penser que Bonello est désormais armé pour faire les plus beaux films des cinquante prochaines années. Qu'un homme qui n'aime pas les papiers soit devenu son propre producteur, voilà un beau retour de force ! Il faut croire que derrière la feuille de sécurité sociale, le cinéaste a fini par voir l'arbre.

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